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Le vendredi 06 avril 2007
Pourquoi je supporte la grève des chargés de cours...
Carl Grenier
Chargé de cours en science politique
et gouverneur de la Fondation de l’Université Laval
Comme bon nombre de mes collègues qui ont une activité professionnelle extra universitaire, activité qui est souvent directement reliée à leur engagement comme chargé de cours, je me suis trouvé du côté patronal pour presque toute ma vie active. D’abord comme haut fonctionnaire au gouvernement fédéral et ensuite à Québec, et plus récemment comme dirigeant d’un groupe pancanadien d’entreprises manufacturières, j’ai eu à défendre des intérêts publics et privés contre les attaques de gouvernements et de groupes étrangers dans le domaine du commerce international.
Plusieurs amis et parents m’ont dit leur étonnement de m’apercevoir — à travers les médias, bien sûr — défiler avec une pancarte à la main sur les lignes de piquetage du syndicat des chargés et chargées de cours de l’université Laval (SCCCUL).
J'étais d'abord sceptique...
Je dois dire que c’est d’abord avec une bonne dose de scepticisme que j’avais répondu à l’appel du syndicat pour la réunion générale spéciale qui a décidé de moyens pouvant aller jusqu’à la grève, le 9 février. Je n’étais pas convaincu de la nécessité de faire pression pour le renouvellement de la convention collective des chargés de cours.
Avec le recul du temps, je crois que mon attitude s’expliquait essentiellement par ma conviction que l’Université Laval, que je fréquente à divers titres depuis 1963, ne pouvait pas être en opposition fondamentale avec les objectifs d’un syndicat comme le nôtre : dans mon esprit , nous poursuivons essentiellement le même but soit d’assurer une formation de la plus haute qualité possible à ceux et celles qui prendront la relève dans tous les domaines de connaissance qu’exige une société comme la nôtre.
De plus, la modestie des demandes syndicales, tant au chapitre des conditions de travail que de la rémunération, me portait à conclure que rien ne justifiait un blocage de la part de l’employeur, et par voie de conséquence, à l’utilisation de moyens comme la grève pour en arriver à une entente.
Concessions exigées par l'employeur
Je me trompais. L’exposé étrangement calme et dépourvu de rhétorique que nous fit l’exécutif du SCCCUL le soir du 9 février, était tout simplement renversant. Loin de discuter de bonne foi sur des bases communes pour en arriver à une entente satisfaisante pour les deux parties, l’employeur exigeait des concessions qui remettaient en cause des pans entiers de mesures déjà acceptées dans les conventions précédentes, comme l’allocation professionnelle, par exemple.
De plus, il mettait de l’avant des demandes qui, si elles s’avéraient, diminueraient considérablement le statut et, partant, l’importance de la tâche des superviseurs de stages. Ce point m’interpelle particulièrement : en tout début de carrière, j’ai enseigné au niveau primaire et secondaire. De constater que mon université s’attaquait directement à la qualité professionnelle du travail de ceux-là mêmes qui sont chargés de la formation des futurs enseignants, ne pouvait me laisser indifférent. Une telle attitude des dirigeants de l’université vient miner les fondations de tout l’édifice éducatif dont l’université elle-même n’occupe que le dernier étage.
Une pensée d'un autre âge
De plus, le saucissonnage infâme qui viendrait rémunérer différemment des tâches (préparation de cours, enseignement proprement dit, correction de travaux et d’examens) qui ont toujours formé un tout indissociable de la fonction enseignante, est caractéristique d’une «pensée» d’un autre âge, celui des premières chaînes de montage automobiles d’il y a un siècle, une «pensée» d’ailleurs supplantée dans l’industrie depuis longtemps par des approches holistiques plus susceptibles de mettre l’intelligence des travailleurs à contribution.
Je ne peux m’attarder ici sur le détail des nombreux points qui sont à régler dans toute négociation d’une convention collective; les sujets que je viens de mentionner ne sont que ceux qui ont retenu mon attention personnelle. Ce qui m’a surtout frappé dans l’exposé de notre équipe de négociation, le soir du 9 février, c’est plutôt l’attitude générale des représentants de l’employeur à la table de négociation :
• Nonchalance quant à l’échéancier;
• Absence de progrès véritables après plusieurs mois de négociation, sauf sur des points mineurs;
• Conciliabules interminables du côté patronal dénotant un manque flagrant de préparation ;
• Recours injustifié à la conciliation, une manœuvre dilatoire dans les circonstances.
Difficile de ne pas conclure à l’absence de mandat véritable de négocier de l’équipe patronale, une situation qui relève directement des autorités universitaires elles-mêmes.
Ce qui frappe le plus, c’est l’absence de reconnaissance de la part de l’université de l’apport des chargés de cours à l’accomplissement de sa mission fondamentale. Le philosophe et politologue Charles Taylor a brillamment démontré l’importance de ce phénomène de la reconnaissance dans tous les domaines des rapports humains. À la base même du fonctionnement des groupes sociaux et des institutions, la reconnaissance est le terreau indispensable à toutes les germinations, à tous les progrès, à toutes les ententes. Les conflits de toute nature font partie de la condition humaine, et c’est la vertu principale de la liberté de nos sociétés démocratiques de permettre la résolution pacifique de ces conflits.
Pourquoi laisser pourrir ainsi les relations de travail
Il faut se demander sérieusement quel objectif poursuit l’université en laissant ainsi pourrir ses relations de travail avec l’un des groupes-clé qui assure sa pérennité et son succès en tant qu’institution de haut savoir. Quel «avantage» l’Université Laval peut-elle retirer en s’attaquant aux plus vulnérables de ses enseignants, déjà les moins bien rémunérés de toutes les universités québécoises? Pourquoi laisser durer un conflit qui met en péril la réputation même de l’institution, qui est son actif le plus précieux?
De toute évidence, ce n’est pas l’impact budgétaire très modeste que l’amélioration graduelle des conditions de travail et de rémunération qui peut faire problème. Y-a-t-il un objectif plus large, qui viserait l’ensemble des employés de l’université, et dont les chargés de cours ne seraient que les premiers à subir une telle approche rétrograde?
Pour ma part, je me refuse à tout procès d’intention. Il incombe à ceux qui dirigent l’université, et au premier chef, à son recteur et a son conseil d’administration, d’expliquer publiquement leur comportement dans cette grève, qui entre maintenant dans sa quatrième semaine.
Je tiens cependant à souligner que si j’ai décidé de supporter l’action du SCCCUL, il me semble tout à fait évident que la très vaste majorité des mes collègues chargés de cours continueront de faire de même, comme l’a brillamment démontré le rejet à plus de 80% des «offres» patronales par l’assemblée générale spéciale du 3 avril. Inutile d’espérer de nous avoir à l’usure : donnez un vrai mandat de négocier à vos représentants, réglez cette grève avant qu’elle ne produise plus de dommages à votre réputation et au déroulement normal de la session pour nos étudiants.